|
||||||||||||||||||||||||||
|
||||||||||||||||||||||||||
"Les Français parlent aux
Anglais !" |
||||||||||||||||||||||||||
IL Y A CENT ANS, L'ENTENTE CORDIALE ... Extraits de "Entente cordiale" - Marc Russeil 1.
DÉFINIR L'ENTENTE CORDIALE C’est en
1831 dans la bouche de Lord Palmerston pourtant peu favorable à la France,
qu’apparaît l’expression Entente cordiale. Guizot dix ans plus tard
s’en servira pour définir les relations entre la France de Louis-Philippe et
la Grande-Bretagne de Victoria. En 1904, il s’agit donc plutôt d’un renouveau
de l’Entente cordiale. Entendre, du
latin Intedere (être attentif à), avait dès le XVIIe siècle, le sens
d’ouïr en plus de celui de comprendre . L’Entente, mot
qui apparaît au XIIe siècle était et reste la compréhension
mutuelle. Quant au mot Cordial(e), son
sens est plus clair. Du latin cordialis (qui part du cœur), il exprime
un sens affectueux. L’Entente cordiale se définit donc comme une
compréhension mutuelle et affective. 2. ENTRE ENTENTE ET
MÉSENTENTE
3.
LA PREMIÈRE ENTENTE CORDIALE 2
Septembre 1843 Faisant suite à la convention
des détroits signée à Londres en 1841, la rencontre officielle à Eu entre
Victoria alors âgée de 24 ans et l’anglophile septuagénaire Louis-Philippe,
inaugura une ère de rapprochement entre la France et la Grande-Bretagne. Á bord de son yacht
« Victoria and Albert » au large du Tréport, la jeune reine
accueillit le roi des Français accompagné de ses deux fils. Dans la soirée,
la reine fut reçue triomphalement au Château d’Eu, résidence d’été du
souverain français. De cette entrevue familiale, Victoria écrira dans son
fameux journal : « Je suis à l’aise avec eux, comme si j’étais en
famille ». C’était la première fois que Victoria sortait de son île. Guizot et Louis-Philippe avait
remarqué dans une correspondance entre Lord Aberdeen et le Comte de Jarnac,
l’emploi de l’expression « Entente cordiale ». Ils décidèrent
de l’insérer dans le discours au trône. Ainsi, ouvrant la séance des
Chambres, Louis-Philippe exprimera la « sincère amitié qui l’unissait à
la reine de la Grande-Bretagne (…) et la cordiale entente établie »
entre les deux gouvernements. 4.
VISITE DU ROI ÉDOUARD VII À PARIS 1er au 4 mai 1903 En mai 1902, la paix signée
entre l’empire britannique et les Boërs marqua la fin relative d’une
anglophobie poussée à son paroxysme lors de la rémission de Fachoda en
novembre 1898. En Grande-Bretagne, on cherchait des alliances sur le
continent européen. On tentait maintenant de rapprocher les opinions
publiques de part et d’autre de la Manche. Au début du printemps 1903,
Édouard VII émit le projet de s’arrêter à Paris lors de son voyage prévu au
Portugal et en Italie. Le 1er mai, Sir Edmund Monson, l’ambassadeur de
Grande-Bretagne l’attendait en gare de Dijon. Le train royal arriva en début
d’après-midi en gare du Bois de Boulogne attendu par une foule conséquente et
curieuse. Après les honneurs rendus, le cortège des chefs d’état se mit en
marche en direction de l’ambassade britannique. Édouard VII et Émile Loubet
remontèrent l’avenue du Bois - aujourd’hui avenue Foch - puis descendirent l’avenue des
Champs-Élysées étrangement nue de décoration spéciale. Après avoir emprunté
le rond-point de la Concorde, le roi et le président s’engagèrent dans la rue
Royale, puis la rue du Faubourg-Saint-Honoré où se trouve l’ambassade de
Grande-Bretagne. Tout le long du cortège, les badauds gardèrent une attitude
froide et indifférente. Le roi avait revêtu pour cette occasion son uniforme
de général, une tunique rouge, la même que celle du général Kitchener,
« vainqueur » à Fachoda. On entend ici ou là quelques cris :
« Vive les Boërs ! », « Vive Marchand ! ». Alors que le cortège est passé
et que les spectateurs se dispersent, un incident fut relaté rue de Rivoli :
la foule cria « Vive l’Armée ! » en y associant le nom de Jeanne
d’Arc (Le Gaulois du 2 mai 1903). Le représentant du Foreign Office, Sir
Charles Harding et Théophile Delcassé, le ministre des affaires étrangères
sont consternés. Le roi resta de marbre et continua de saluer à droite, à
gauche. Arrivant à l’ambassade, il fera la remarque suivante : « Les
Français ne nous aiment pas … Mais pourquoi nous aimeraient-ils ? ». Après un discours prononcé à la
Chambre de commerce britannique où il exprima le plaisir qu’il avait de
retrouver Paris, le roi, accompagné du président Loubet, choisit le soir
d’assister à une représentation au Théâtre-Français. On devait y jouer L’Autre
danger de Maurice Donnay, alors que le Protocole avait prévu Le
Misanthrope . « Ah ! Non s’exclama le roi, j’ai vu dix fois Le
Misanthrope au Français; il ne faut tout de même pas me traiter comme le Shah
de Perse … ». Durant le rapide trajet, on
entendit encore des cris hostiles au souverain. Au théâtre, la public fut
particulièrement glacial malgré la présence d’un président de la République
pétrifié. Édouard VII garda à nouveau son habituel flegme : « Il m’a
semblé entendre quelques sifflets... confira-t-il le lendemain au chef du
Protocole. Mais non… Je n’ai rien entendu… Je n’est rien entendu... ». À l’entracte, le roi quitta sa
loge à la rencontre de cette foule défavorable « avec la ferme volonté
de gagner ces gens hostiles » (André Maurois). Il aperçut Jeanne
Granier, jeunes actrice française revenant d’une tournée en Angleterre et lui
déclara : « Mademoiselle, je me rappelle vous avoir applaudie à Londres.
Vous y représentiez toute la grâce et tout l’esprit de la France ». « La bonne humeur du roi,
le souvenir ému de sa jeunesse, son désir de plaire avaient raison de toutes
les mauvaises humeurs, et même de toutes les raisons diplomatiques de haïr
l’Angleterre, écrira Léon Lemonnier ». Le lendemain, 18000 hommes
défilèrent en revue devant le roi à Vincennes. Il mit beaucoup de soin à
saluer chaque drapeau qui passait. Les acclamations que lui faisait la foule
devenaient incessantes. L’hôtel de ville de Paris était
sa prochaine étape. Lors de la réception, il y prononça un court discours.
« Je n’oublierai jamais la visite à votre charmante cité, et je puis
vous assurer que c’est avec le plus grand plaisir que je reviens à chaque
fois à Paris, où je suis traité exactement comme si j’étais chez moi ». Le roi reçut ensuite à
l’ambassade plusieurs de ses amis français : le général Galliffet, le duc de
la Force, le marquis de Jaucourt ou l’amiral Duperré. L’après-midi, Édouard VII alla
aux courses, comme à son habitude. Celles-ci étaient organisées par le Jockey
Club selon son désir. Le soir, il y eut un banquet à l’Élysée. « Je suis content de cette
occasion qui (…) contribuera à l’amitié de nos deux pays, dans leur intérêt
commun, y déclara le roi au président Loubet ». La soirée se termina par
un gala à l’Opéra. Le matin, Édouard VII se rendit
à la messe anglicane avant d’être invité à déjeuner au Quai d’Orsay par le
ministre des Affaires étrangères, Théophile Delcassé. Il y rencontra les
personnalités politiques françaises les plus importantes. Le soir, une soirée de gala
était prévue à l’ambassade de Grande-Bretagne. L’ancien hôtel de Pauline
Borghèse brillait de mille feux. Entre les discussions amicales, on y buvait
les meilleurs vins, comme un Château-Margaux 1877 accompagnant des poulardes
de Bresse, des côtelettes de pintade « à la George IV ». C’est une foule compacte qui
acclama le roi d’Angleterre faisant route vers la gare des Invalides. Avant
de s’embarquer à Cherbourg pour Portsmouth, Édouard VII envoya un télégramme
au président Loubet : « avant de quitter le sol français, je désire vous
remercier encore une fois très chaleureusement pour l’accueil amical que vous
et votre gouvernement et le peuple m’ont accordé en France, et pendant mon
séjour à Paris, dont le souvenir ne s’effacera jamais de ma mémoire ». Dans une note adressée pour
lui-même, Delcassé remarquera que « c’est le roi, le roi seul, qui a
conçu le projet de visite à Paris ». Le roi de l’Entente cordiale
avait réussi son pari ! 5.
VISITE DU PRÉSIDENT LOUBET À LONDRES 6 au
9 juillet 1903 Le 6 juillet, le président
Loubet rendit la visite au roi Édouard VII. À son arrivée à Londres, il fut
surpris par l’accueil enthousiaste qui lui était réservé par la population.
Partout des inscriptions lui souhaitaient la bienvenue; pour traduire
« Long life the president », on avait écrit : « Vive le long
président ! ». Le soir, le roi et la reine l’invitèrent à un dîner
d’apparat à Buckingham. Le roi dans son discours évoqua non plus l’amitié mais
l’affection entre les deux pays. Le lendemain, après une visite
à l’hôpital français, le président assista à un banquet au Guildhall.
Devant un parterre de personnalités, le lord-maire Marcus Samuel lui remit un
coffret d’or, signe d’une amitié durable. Le soir, un dîner en l’honneur du
roi était organisé à l’hôtel de l’ambassade de France. Le 8 juillet au matin,
Émile Loubet visita Windsor, puis se rendit à Aldershot pour une revue
militaire en son honneur. Lord Lansdowne invita le soir
le président français et sa suite à un dîner dans sa propriété de Berkeley
Square, en présence notamment du premier ministre Balfour. La soirée se
termina par le bal de la cour, le premier depuis l’avènement d’Édouard VII.
Le roi avait demandé que le président français portât la culotte courte et
les bas, afin qu’il puisse lui conférer l’Ordre de la Jarretière. Le
président refusa prétextant son âge. Le roi ne voulut-il pas avec humour
culotter un sans-culotte ? Le 9 juillet, le président
Loubet reprit le croiseur Guishen pour Calais sous les acclamations de
la foule. 1903 réalisa l’Entente
cordiale. 1904 l’officialisera. 6.
L'ACCORD 8
avril 1904 En marge des visites d’État,
des mondanités et des réceptions, les négociations pour régler les différends
diplomatiques avaient repris entre Delcassé, lord Lansdowne et Cambon, sous
l’œil approbateur de Joseph Chamberlain, l’homme fort de la Grande-Bretagne,
et néo-francophile de marque. L’accord signé à Londres,
stipula que les Anglais renonçaient au Maroc et que les Français faisaient de
même pour l’Égypte. L’Espagne devait être consultée, les ports marocains
ouverts au commerce et Tanger laissée libre. Problème annexe également réglé
par les diplomates : Terre-Neuve. Depuis le Traité d’Utrecht en 1713, les
Anglais étaient maîtres de Terre-Neuve et avaient autorisé les Français à y
pêcher des poissons sur certaines parties de la côte. Le homard, crustacé à
la mode au début du siècle, n’avait alors pas été évoqué. D’où une
interdiction faite aux pêcheurs français de s’approvisionner en boëtte,
poisson servant d’appât pour le homard. Les différends sur le Siam, Madagascar
et les Nouvelles-Hébrides furent réglés également. La Chambre des communes à
Londres, et plus difficilement, la Chambre des députés à Paris, entérineront
cette convention. L’Entente cordiale avait
pour objectif la paix. En anglais, l’accord de 1904 est traduit par the
anglo-french agreement. Davantage que le Royaume-Uni, c’était avec
l’Angleterre donc, l’ennemie héréditaire, que la France eût à resserrer ses
liens d’amitié. Les deux nations avaient raté ce rendez-vous au Camps du Drap
d’Or en 1520 et durant toute l’histoire moderne. En 1843, l’Entente cordiale
n’avait été qu’un hors-d’œuvre. Cette fois-ci, la France et l’Angleterre
allaient traverser les épreuves du siècle ensemble. Pourtant, la convention de 1904
n’était pas un traité d’alliance. Elle était bien plus encore ! Copyright
© Institut Entente Cordiale 2004 |